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Le libre accès à la montagne en question dans la réserve naturelle nationale des Hauts de Chartreuse

Bruno de Quinsonas-Oudinot est propriétaire de plusieurs centaines d’hectares en amont du col de Marcieu. Il a récemment exprimé le souhait de restreindre l’accès à sa propriété située notamment au cœur de la Réserve naturelle des Hauts de Chartreuse.

5 min de lecture
Isère
Chartreuse
Espaces protégés

Écrit par le comité de rédaction

Publié le 27 sept. 2023

La propriété privée renferme plusieurs sites d’exception (col de Bellefont, Lances de Malissard, …) qui font le bonheur des randonneurs, des grimpeurs, des naturalistes : des montagnards. C’est également le support d’activités cynégétiques, puisque le droit de chasse y est loué et que la chasse au chamois et au tétras-lyre y a lieu de septembre à février. Si des frictions entre certains chasseurs et d’autres visiteurs sont répertoriés çà et là depuis 20 ans, le site de la Tour Percée semble cristalliser les tensions.

Auparavant, le droit de circuler permettait aux randonneurs de se promener où bon leur semblait au sein de cette propriété privée de 750 ha. La loi du 2 février 20231 permettra a priori à M. de Quinsonas d’interdire l’accès à son terrain en posant de simples panneaux. Bien que les décrets d’application de cette loi n’aient pas encore été publiés, les limites de la propriété sont déjà ornées de panneaux d’interdiction à divers endroits. De nombreuses voix se sont immédiatement élevées contre cette atteinte à leur liberté d’accéder à la montagne. Une pétition a été lancée le 1er septembre « pour la liberté d’accès à tout-e-s à la Réserve naturelle des Hauts de Chartreuse ». Elle comptait au 27 septembre 2023 plus de 29 000 signatures.

La position de Mountain Wilderness

Cette controverse est à replacer dans un contexte dont on ne peut s’affranchir : la Réserve naturelle nationale des Hauts de Chartreuse a été créée en 1997 pour « préserver les milieux, la faune, la flore, les éléments géologiques et le paysage ». Alors même que nous vivons un effondrement de la biodiversité et du vivant, la fréquentation et la libre circulation des personnes ne va pas de soi dans cet espace protégé et vulnérable. De l’aveu même de Suzanne Forêt, conservatrice de la Réserve, « il y a de gros enjeux faune et flore sur cette zone. Valoriser et aménager le site, cela signifie sacrifier l’espace naturel. » 

Ainsi, puisque les montagnes – derniers espaces de wilderness – abritent des écosystèmes sous pression, elles sont des espaces de responsabilité.

A ce titre, le règlement de la réserve et les arrêtés municipaux complémentaires vont dans le sens de la sauvegarde du site (les chiens, la cueillette des plantes, les feux et le camping sont notamment interdits, et seul le bivouac à la belle étoile est toléré durant les deux mois d’été). Le travail de sensibilisation effectué par le garde animateur de la Réserve va également dans ce sens.

Les conditions semblent donc être réunies pour garantir aux visiteurs responsables un accès durable à cet espace de ressourcement indispensable. L’exemple récent de la réglementation sur le bivouac prouve que des mesures supplémentaires peuvent être prises par arrêté si elles sont nécessaires. A contrario, la restriction d’accès à la RNN en dehors des sentiers balisés (cf. plan de circulation randonnée) souhaitée par M. de Quinsonas s’accompagne d’une profonde injustice et d’une grande incertitude.
En effet, le droit de passage sur les sentiers inscrits au plan de circulation randonnée de la RNN repose sur l’accord de Bruno de Quinsonas-Oudinot. Tant qu’un compromis ne sera pas trouvé, celui-ci pourra à tout moment se rétracter de l’accord tacite qui le lie au Parc naturel régional de la Chartreuse. L’accès au plateau serait donc interdit, même le long des sentiers balisés et parcourus de longue date.

La raison d’être de Mountain Widerness n’a pas changé depuis sa création en 1988 : la montagne est un territoire de respiration essentiel, pour les humains comme pour les non humains.

A ce titre, nous ne pouvons pas concevoir qu’une partie des montagnards se voient refuser l’accès à un territoire sauvage dans le seul but que d’autres en jouissent pleinement. Ici, ce serait à des fins de loisir et d’enrichissement personnel2. Ailleurs, d’autres raisons pourraient justifier cet accaparement.
Par ailleurs, cette situation risque de créer un précédent d’autant plus dommageable qu’une vaste part du territoire montagnard est constituée de biens privés (entre 10 % et 50 % selon les massifs3, et 31 % dans le seul périmètre de la Réserve). La loi du 2 février 2023 – dont les décrets d’application ne sont pas encore parus – ne semble pas avoir anticipé cet effet collatéral particulièrement dommageable pour les territoires de montagne et leurs hôtes.

Quelle voie de sortie ?

Pour l’heure, le propriétaire est dans son droit. Malgré cela, il court le risque de s’enliser dans une situation inconfortable : sur les millions d’habitants que compte le bassin de vie au pied de la Chartreuse, nul doute qu’une poignée fera fi de la nouvelle réglementation et à jouer au chat et à la souris avec les gardes – armés ? – chargés de la faire respecter. Les conflits s’agrégeront à la liste des altercations ayant eu lieu depuis 20 ans, sans que le plateau ne retrouve son calme.
De plus, faute de compromis, la posture du propriétaire risque d’entacher durablement la réputation du massif de la Chartreuse et d’impacter le monde du tourisme. Comment préserver l’attractivité d’un territoire dont une partie est devenue hostile aux visiteurs ?
Si M. de Quinsonas poursuit véritablement un but de préservation du site, de sa faune et de sa flore comme il le martèle, une piste intéressante permettant à la réserve de jouer pleinement son rôle de préservation du vivant a déjà été évoquée en 2007. Dans un courrier commun, deux élus et Bruno de Quinsonas-Oudinot proposent de classer le site sensible de la tour Percée et ses abords en Réserve nationales de chasse et de faune sauvage, et de l’ouvrir de façon saisonnière aux randonneurs.

A minima, Mountain Wilderness souhaite la libre circulation pour tous sur tout le territoire de la Réserve naturelle nationale, dans le respect du règlement de cette dernière. Les restrictions supplémentaires pour préserver le milieu, si elles s’avéraient nécessaires, devraient être prise par la réserve et les autorités publiques compétentes, et faire l’objet d’une concertation et d’un débat.

  1. Loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée
  2. Le prix de la chasse serait de 10 000€ (Jocelyn Chavy dans Alpine Mag – septembre 2023) et le prix de la location du terrain de 25 000€ (Pascal Sombardier sur bivouak.net – mai 2006)
  3. Mériaudeau Robert. La spécificité foncière de la montagne française. In : Revue de géographie alpine, tome 77, n°1-3, 1989. pp. 203-210

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