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Droit d’accès à la nature : Chastreix sans ski ?

Après 55 ans d’existence, et alors qu’elle doit faire face aux défis du manque de neige et de la nécessaire diversification, la petite station de Chastreix-Sancy (Puy-de-Dôme, 63) se trouve confrontée à un problème de taille : l’impossibilité pour sa clientèle d’accéder au domaine nordique suite au refus d’un propriétaire d’accorder un droit de passage sur sa parcelle.

3 min de lecture
Espaces protégés
Pratiques sportives

Écrit par le comité de rédaction

Publié le 08 janv. 2025

Un renversement de situation récent

Perchée sur les contreforts ouest du Puy de Sancy, Chastreix-Sancy est la plus petite des trois stations de sports d’hiver du massif des Monts Dore. Créée à la fin des années 60 – notamment pour compenser le déclin de l’agriculture – elle permet encore aujourd’hui à un public familial de pratiquer été comme hiver des activités de pleine nature dans un cadre grandiose. Au sud, le domaine skiable (7 téléskis desservant 18 pistes) occupe les pentes du Puy de Chabane et du Mont Redon. Au nord, les « plaines brûlées » permettent la pratique du ski de fond et de la raquette avec une demi-douzaine de pistes et un itinéraire de randonnée.

Ce secteur clé pour l’activité de la station n’est toutefois plus accessible par Chastreix-Sancy depuis mars 2024, date à laquelle la parcelle stratégique permettant l’accès aux plaines brûlées depuis la station a été brusquement fermée, mettant fin à plus de 40 ans de cohabitation sans accrocs entre agriculteurs et socio-professionnels du tourisme.

Un choix difficilement compréhensible qui met à mal l’économie locale

Au printemps 2024, la parcelle en question d’une surface de 110 hectares a en effet été vendue à un propriétaire qui a décidé d’en interdire l’accès. Si cette situation rappelle d’autres cas d’interdiction d’accès à la nature décidés unilatéralement par des propriétaires terriens (notamment dans les Vosges et en Chartreuse), celle-ci se distingue par l’absence de conflit d’usage notable préexistant. L’hiver, la pratique du ski de fond ou de la randonnée sur des parcours strictement délimités ne rentre pas en conflit avec l’exploitation de la parcelle, rendue de toute façon impossible par la présence de neige. L’été, le secteur est peu fréquenté, contrairement aux crêtes du Sancy situées à l’amont. Les quelques cavaliers, randonneurs ou vététistes circulent là encore sur des parcours définis où ils ne sont pas susceptibles de déranger les vaches en estive.

Là où l’activité agropastorale et la mise en tourisme du secteur sont résolument compatibles voire complémentaires, le nouveau propriétaire fait le choix de les opposer. En interdisant la traversée de sa parcelle, et donc l’accès aux plaines brûlées depuis Chastreix-Sancy, il impacte durablement la pratique d’une dizaine d’activités sportives et le bilan des professionnels qui en dépendent. Au-delà des quelques professionnels directement concernés (musher, moniteurs de ski de fond, accompagnateurs en montagne, loueurs de matériel, …), cette décision met en lumière les liens d’interdépendance existants pour déstabiliser l’écosystème local, ses commerçants et ses prestataires, qu’ils soient restaurateurs, hébergeurs, agriculteurs ou producteurs. Dans un contexte de changement climatique brutal, alors que la commune support de station doit composer avec l’incertitude de l’approvisionnement en neige, la difficile fidélisation des commerçants, l’impérative diversification de ses sources de revenus, cette décision infondée est lourde de conséquences pour le territoire.

Outre l’absence de conflits d’usage, ce choix est d’autant plus incompréhensible que le nouveau propriétaire ne pouvait ignorer l’usage historique de cette parcelle et son importance pour le territoire. Lors d’une telle transaction, l’acquéreur prend le bien en l’espèce, et la parcelle en question faisait vraisemblablement l’objet d’une convention de passage (signée entre l’ancien propriétaire et la commune). Qui plus est, la parcelle en question est classée « Nk » sur le Plan local d’urbanisme, ce qui en fait une « zone destinée à recevoir des aménagements, des constructions et des équipements liés aux pratiques sportives, de loisirs, touristiques, notamment de plein air et liés à l’activité du site ».

Quelle voie de sortie suite à la forte mobilisation locale ?

Pour pallier cette situation, les citoyens concernés ont créé le collectif « Touche pas à mon Sancy », rassemblant l’association des commerçants et prestataires de Chastreix mais aussi des particuliers, des agriculteurs ou d’autres socio professionnels (hébergeurs, loueurs de matériel, écoles du ski français, …). Ce collectif fédérateur est à l’initiative d’une pétition pour sauver l’accès aux plaines brûlées depuis Chastreix-Sancy, qui a recueilli à ce jour plus de 6 500 signatures. Malgré ce succès populaire, malgré une vaste couverture médiatique (La Montagne, RMC, France 3, TF1, …), et suite au refus du propriétaire d’échanger 15 ha de terrains communaux en fermage à titre gracieux contre la signature d’une convention de passage, les négociations avec le propriétaire concerné sont actuellement au point mort

Des discussions avec les services de l’État sont en cours, et une réunion entre les élus locaux et le préfet a eu lieu le 20 décembre dernier. Du reste, la commune possède encore au moins deux leviers d’action :

  • Dans le cas où la servitude de passage historique reposait sur une convention signée et non un accord oral ou tacite, celle-ci reste attachée à la parcelle. Si tel est le cas, une telle servitude aurait dû être visée dans l’acte de propriété. La commune pourra demander un état d’hypothèque pour lever ce doute si besoin est.
  • Quoiqu’il en soit, il est toujours possible pour la commune d’instaurer une servitude dite « loi montagne » au titre de l’article 342-20 du code du tourisme, destinée « assurer le passage, l'aménagement et l'équipement des pistes de ski alpin et des sites nordiques destinés à accueillir des loisirs de neige non motorisés organisés […] ».

Si nous espérons que les acteurs locaux pourront trouver une issue heureuse à cet épisode, cette nouvelle fermeture d’un espace de nature auparavant accessible au public rappelle l’intérêt et l’urgence de mettre en place un véritable droit d’accès à la nature en France.

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