© Collectif notre village Rimbach

Droit d'accès à la nature : la contestation change d'échelle

Auparavant, le droit de circuler permettait aux randonneurs de se promener librement dans les espaces naturels de France qui n’étaient pas délimités par des grillages ou barrières. Depuis début 2023, un changement dans la loi permet aux propriétaires de restreindre l’accès à leurs terres en posant de simples panneaux. Des propriétaires partout en France ont déjà fait jouer cette loi pour restreindre l’accès à leur terres, souvent dans le but de commercialiser l’accès aux espaces naturels et leurs ressources. C’est dans ce contexte que des collectifs locaux s’organisent pour mutualiser les efforts afin d’inscrire le droit d’accès à la nature dans la loi. Retour sur l’historique de ce dossier et les prochaines étapes.

5 min de lecture
Chartreuse
Isère
Alpes-Maritimes
Vosges
Espaces protégés
Pratiques sportives

Écrit par le comité de rédaction

Publié le 05 mars 2024

Un premier cas : l'affaire des Hauts de Chartreuse

Le 25 janvier 2023, les députés français ont adopté quasiment à l’unanimité (2 voix contre) une loi ambitieuse pour lutter contre l’engrillagement et protéger la propriété privée1. Qu’il s’agisse d’un effet de bord non anticipé ou d’une volonté politique, la loi du 2 février 2023 permet aux propriétaires fonciers d’interdire l’accès à leur bien moyennant la matérialisation des limites de la propriété (par des panneaux, des haies ou des clôtures). Il a fallu attendre la fin de l’été 2023 pour voir fleurir les premiers panneaux d’interdiction, remarqués par quelques amoureux de la nature arpentant les sentiers de la Réserve Naturelle Nationale des Hauts de Chartreuse. Mountain Wilderness s’était alors immédiatement associée aux nombreuses voix2 s’élevant contre cette décision unilatérale, inéquitable et infondée.

Mountain Wilderness défend les espaces naturels protégés comme outil de préservation de la nature et de la wilderness. Notre association se positionne avant tout en garde-fou pour veiller à ce que la réglementation soit appliquée et pour dénoncer les dérives qui amoindriraient la protection. Nous veillons également à ce que les conditions d’accès et de découverte de ces espaces de ressourcement soient équitables et justifiées. Notre position était alors la suivante : Mountain Wilderness souhaite la libre circulation pour tous sur tout le territoire de la Réserve naturelle nationale, dans le respect du règlement de cette dernière. Les restrictions supplémentaires pour préserver le milieu, si elles s’avéraient nécessaires, devraient être prises par la réserve et les autorités publiques compétentes, et faire l’objet d’une concertation et d’un débat. Cette position reste inchangée aujourd’hui.

Une multiplication des interdictions

La première interdiction en Chartreuse a créé un précédent, faisant planer la menace de l’interdiction d’accès sur d’autres espaces naturels privés3. Ce que nous redoutions collectivement a fini par se produire :

  • Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes - 06) | Début novembre 2023, le marquis de Panisse-Passis interdisait l’accès à sa propriété de 700 ha, privant les riverains d’un des derniers espaces de verdure entre les métropoles de Cannes et Nice4.
  • Rimbach-près-Masevaux (Haut-Rhin - 68) | Le 11 janvier 2024, le groupement foncier forestier privé du Wustkopf écrivait à la branche locale du Club Vosgien pour l’informer de son choix d’interdire l’accès à sa propriété de 64 ha. Les sentiers reliant Ermensbach aux lacs de Neuweiher, deux magnifiques reliques de la glaciation de Würm, étaient ainsi subitement fermés au public5.

Là encore, ces décisions unilatérales sur fond de chasses privées confisquent aux riverains et aux visiteurs des espaces de ressourcement indispensables. Comme en Chartreuse, ces interdictions ont eu un fort retentissement et les principaux concernés ont manifesté leur mécontentement à grands renforts de rassemblements et de pétitions. A ce jour les différentes pétitions totalisent plus de 61 000 signatures. Plus de 2 000 randonneurs et randonneuses se sont mobilisées sur le terrain. Si ces trois cas ont été largement relayés dans la presse, de nombreuses autres interdictions apparaissent sur le territoire national : carte. Par ailleurs, de nombreuses autres sont sans doute passées sous nos radars malgré la veille active des collectifs.

Un enlisement des luttes locales

Malgré l’ampleur des mobilisations successives, aucun des trois propriétaires concernés n’est revenu sur sa décision. Que les syndicats professionnels et les fédérations de pratiquants prennent le relais des collectifs locaux et associations de protection de l’environnement : rien n’y fait.

Dans le Haut-Rhin, le groupement forestier s’est livré à un véritable saccage de la forêt6 pour barrer l’accès à sa propriété. Dans les Alpes-Maritimes, la Fédération Française de Randonnée est contrainte d’adapter son balisage pour contourner la parcelle désormais interdite. Dans les Hauts de Chartreuse, le propriétaire Bruno de Quinsonas n’a pas ratifié la convention de passage sur les sentiers inscrits au Plan Départemental des Itinéraires de Promenade et de Randonnée (maigre lot de consolation au regard de la longue liste des espaces désormais inaccessibles).

Les interdictions d’accès se multiplient donc sur le territoire national et les discussions locales se heurtent systématiquement au refus des propriétaires, ces derniers s’appuyant sur la loi du 2 février 2023 dont l’esprit est détourné pour garantir l’exploitation privée d’un endroit.

La contestation change d'échelle

Cette incapacité à débloquer la situation localement pousse les collectifs à reconsidérer leur action. La loi actuelle permet la privatisation de l’espace et l’exploitation mercantile de la nature dans des espaces nécessaires à l’équilibre et à la santé de chacun : il semble nécessaire de modifier ce texte afin qu’il corresponde à la volonté initiale de son rapporteur sans que ne se multiplient les interdictions infondées.

C’est dans cet esprit que quatre collectifs7 se sont réunis le 20 février dernier. Dans le même temps, plusieurs parlementaires se sont emparés du sujet, avec en tête deux d’entre eux : Lisa Belluco et Jérémie Iordanoff. Ces derniers ont d’ores et déjà déposé une proposition de loi visant à dépénaliser l’accès à la nature8. Par ailleurs, notre présidente Fiona Mille participera le 28 mars prochain à un colloque à l’Assemblée Nationale ayant pour thème de l’« Accès à la nature ».

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