Arnaud-Victor Monteux CC-BY-SA-3.0

La Morte : Quand une remontée mécanique s’invite dans un projet de transition...

À La Morte, commune du Sud-Isère support de la station —en grande difficulté― de l’Alpe du Grand Serre, un projet de transition fait débat : ses promoteurs font d’un soi-disant « ascenseur valléen » l’alpha et l’oméga de l’avenir de la station. Ce projet semble recueillir un assez large consensus sur le territoire et a trouvé des échos favorables auprès de la Ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, et ce malgré une orientation assez marquée sur le maintien du ski et un coût important de plusieurs dizaines de millions d’euros non réunis à ce jour.

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Isère
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Aménagement
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Écrit par le comité de rédaction

Publié le 11 juil. 2024

Pourquoi un tel engagement politique et financier pour une remontée mécanique ?

La station de l'Alpe du Grand Serre, aux portes de l'Oisans et à 1h en voiture de Grenoble, a vu le jour dans les années 30. Petite station familiale qui n’a jamais été organisée pour véritablement dépasser le stade de neige, malgré une période durant laquelle se développent des colonies de vacances (« pas de village, pas de commerces, peu d'hébergements » lit-on sur un forum dédié aux remontées mécaniques), l’Alpe du Grand Serre connaît d'importantes difficultés ces dernières années, les effets du réchauffement climatique se combinant à un manque de ressources financières. Car si le haut du domaine skiable reste encore enneigé, ce n’est plus le cas des pentes inférieures ; et comme la partie skiable s’atteint par deux télésièges vieillissants et non continus, impossible d’ouvrir la station quand on pourrait encore imaginer skier ses pistes en altitude.

La communauté de Communes de la Matheysine porte un projet visant à remplacer les deux vieux télésièges par une télécabine reliant la station à un point haut situé à 1700m d’altitude, permettant de desservir le haut du domaine skiable l’hiver, les crêtes du Grand Serre et du Pérollier l’été.

L’attractivité de cet équipement permettrait selon ses promoteurs de régler les questions de fréquentation du massif du Taillefer en détournant ses visiteurs vers le site accessible par la remontée. Selon quelles modalités de report ? Mystère pour l’instant. De même, les forts enjeux de redynamisation du village sont peu développés, hormis un projet de tiers lieu. C’est d’ailleurs notre représentant qui en rappeler l’existence lors d’une rencontre avec les parties prenantes et Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité… alors même que le plaidoyer portait sur le financement du téléphérique.
Suite à cette rencontre, l’État, en la personne de la ministre, a indiqué qu'il soutiendrait ce projet « d'ascenseur valléen », d’un coût minimal de 24 millions d'euros. Dominique Faure affirme vouloir en faire « l’exemple alpin de la transition en montagne. »

« Un ascenseur valléen est un moyen de transport reliant le bas d'une vallée à une localité en montagne, le plus souvent une station de sports d'hiver mais également des villages d'altitude, notamment en Suisse. Ce mode de transport peut prendre la forme d'une télécabine, d'un téléporté, d'un téléphérique ou encore d'un funiculaire. La dimension écologique est un élément majeur dans la décision de construire un ascenseur valléen, notamment dans le cadre du développement de solutions de transport alternatives à la route. »

Définition extraite de Wikipédia

À La Morte, s'agit-il d'un ascenseur valléen ou d'une remontée mécanique ?

Il est important de souligner que l’un des atouts majeurs des ascenseurs valléens est d’éviter aux visiteurs de la station de prendre la voiture jusqu'en haut, limitant ainsi les problèmes d'embouteillages, la pollution, etc. Mais qu’en est-il du projet de l’Alpe du Grand Serre ?

Le téléporté en discussion à la Morte relierait la station avec la zone (pour le moment mieux) enneigée du domaine skiable... Il ne s'agit donc pas de relier une vallée à une station d’altitude, mais une station avec le cœur de son domaine skiable, situé entre la cote 1700 et une altitude maximum de 2 183 m.

Il est très clair que le projet est conçu pour "sauver le ski", habillé des bons termes de la transition pour "faire passer" la remontée mécanique. Renommer cet équipement "ascenseur valléen" est symptomatique de ce fait. Pour Mountain Wilderness, cet aménagement n’est pas un ascenseur valléen, mais bien une remontée mécanique qui servira avant tout au ski, que le projet envisage de poursuivre sur la partie haute du domaine skiable actuel.
Faire passer ce projet pour un ascenseur valléen parce qu'il est l'alternative à une route qui permettrait de rejoindre en voiture la partie exploitable du domaine skiable tord le principe de ce mode de transport ; cela fait de plus fi de l'interdiction de créer des routes au dessus de la limite forestière... Une benne comme alternative vertueuse à une route qu'on a pas le droit de construire... il fallait oser effectivement !

L’artifice permettrait en fait de financer à renfort d'argent public non pas une télécabine mais, un "ascenseur valléen" vertueux. Or, un vrai projet d’ascenseur devrait relier Séchilienne (situé à 300 m d’altitude dans la vallée de la Romanche) à La Morte, évitant ainsi un trajet d’une quinzaine de km de route en lacets, non pas La Morte à ce qui reste de son domaine skiable... Un vrai projet d’ascenseur valléen demanderait également de travailler une vraie intermodalité entre vallée et station car son efficacité de « est tributaire des raccords entre la gare de départ et les infrastructures d’accès à cette gare1. »
Il serait plus juste de nommer ce projet pour ce qu'il est : un projet de remontée mécanique, servant à atteindre un front de neige plus haut, pour prolonger de quelques saisons le ski alpin à La Morte.

À l’heure de la transition, on continue vraiment à investir dans le ski ?

Ce n’est pourtant vraiment pas dans l’air du temps. Le rapport de la Cour des comptes, celui de l’ex-député des Hautes-Alpes Joël Giraud (également ancien ministre de la cohésion des territoires), les orientations de financements publics de l’ État et de l’ EU, prennent en compte la réalité climatique et s’orientent vers « la mobilité décarbonée » et donc vers les  vrais « ascenseurs valléens », non pas dans l’aménagement des domaines skiables.

Le coût du projet de La Morte est aujourd’hui évalué à 24 millions. Pour avoir une idée de ce que cela représente, rappelons-nous que le financement du programme Avenir Montagne Ingénierie, visant à accompagner dans leurs transitions 62 territoires de montagne, était de l’ordre de 31 Md€… Comment justifier un financement à cette hauteur pour la seule commune de la Morte, pour un projet de transition qui n'en est pas un, et dont la pertinence n’est pas démontrée ?

Quelles alternatives pour La Morte ?

Nous sommes convaincus que l'enjeu n'est pas de faire de La Morte un parking de gare de départ de télécabine, mais bien un point focal de la découverte du territoire. Le futur du territoire devrait penser la commune comme un camp de base pour tous, y compris en intégrant la redynamisation des centres et colonies de vacances, camping, tiers lieux, etc. Les besoins de la commune portent davantage sur un réaménagement urbain que sur une nouvelle remontée mécanique. reposant sur un enneigement fragile dans l’avenir et sur une attractivité réduite du territoire pour le ski du fait de son faible dénivelé.

La Morte a heureusement beaucoup d'autres atouts pour les activités de pleine nature (randonnée, escalade, vtt, trail, etc.). Ce site magnifique, que ce soit coté Taillefer ou Pérollier, est aussi en lien avec la Romanche et l'Oisans (cf le tour du Taillefer). De plus, l'agriculture (pastorale en particulier) bénéficie de magnifiques alpages et le domaine forestier du territoire est de qualité. Enfin, n’oublions pas le patrimoine historique minier qui gagnerait à être valorisé.

Mountain Wilderness a soutenu ces arguments à l’occasion de différents échanges avec les partie prenantes au projet, en particulier avec la Ministre Dominique Faure lors du salon Mountain Planet. Nous avons depuis communiqué une note à ses conseillers.

Car oui, il faut sauver La Morte ! Oui, le sujet de la transition de la station de l'Alpe du Grand Serre et de l'avenir de la commune de la Morte est important. Afin de créer un projet d'avenir souhaitable pour la Morte, en phase avec les enjeux de transition, nous appelons à une réflexion très ouverte, intégrant l’ensemble des enjeux et des parties prenantes, selon le format mis en œuvre lors des États généraux de la transition du tourisme en montagne. Un travail en lien avec la métropole grenobloise nous semble indispensable, afin de mobiliser toutes les énergies et de mettre en place les solidarités territoriales nécessaires.

1 Lionel Laslaz, maître de conférences en géographie et directeur du département de géographie et aménagement à l’Université Savoie Mont-Blanc

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