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Le massif du Mont-Blanc au patrimoine mondial de l'UNESCO ? Qu'en pensent les Chamoniards ?

La vallée de Chamonix, avec son emblématique Mont-Blanc, a entamé une démarche pour obtenir le classement de son massif au patrimoine mondial de l'UNESCO, visant à concilier préservation naturelle et développement durable. Mais comment les Chamoniards accueillent-ils ce projet ?

5 min de lecture
Mont-Blanc
Espaces protégés

Écrit par Eric Lasserre, délégué « Vallée de l’Arve » de Mountain Wilderness, administrateur de ProMONT-BLANC

Publié le 31 janv. 2018

Le Mont-Blanc classé à l'UNESCO pour un tourisme plus durable ?

Après la demande en 2012 d'un classement de l'alpinisme au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO, qui est une convention différente de celle du patrimoine mondial, la commune de Chamonix franchit en 2017 un nouveau pas et s'engage dans la démarche pour le classement du Mont-Blanc au patrimoine mondial naturel et culturel de l'Humanité. Sans doute l'implication constante des associations, notamment proMONT-BLANC, toujours mobilisées depuis 20 ans pour ce classement, n'est pas étrangère à cette décision ? Rapidement, Chamonix parvient à convaincre la Conférence transfrontalière Mont-Blanc et obtient l'aval d'une « grande majorité » (à l'exception de Saint-Gervais) de communes des trois pays, ainsi que l'accord du département et de la région.

De la part du maire de Chamonix, il y a certainement une volonté de « redorer le blason » de sa vallée impactée par une pollution atmosphérique préoccupante. En effet, cette pollution de l'air, qui fait les gros titres de la presse nationale, pourrait à terme compromettre l'avenir touristique de nos vallées. Eric Fournier voit sans doute dans cette nouvelle démarche une voie pour obtenir des contributions afin de mieux lutter contre cette pollution, limiter le trafic poids-lourds, aider à la rénovation énergétique des bâtiments, améliorer encore les transports publics, assurer un tourisme durable et de qualité à son territoire.

Comment les Chamoniards voient-ils cette candidature ?

Ainsi sur chaque promontoire, chaque éminence, des ouvriers et militaires ont construit des blockhaus du “Mur alpin” (équivalent italien de la "Ligne Maginot des Alpes"). Ils ont également dressé un réseau de lignes de barbelés sur toute la longueur de la crête, parfois doublées ou triplées autour des blockhaus et des points de passage.
À la fin de la guerre, toutes ces fortifications ont été abandonnées et laissées en place.
Avec le temps et la neige de dizaines d’hivers, les barbelés ont rouillé et leurs piquets ont été couchés dans la pente. Ces installations sont dangereuses et leur éventuel caractère patrimonial n’est pas valorisé. Ce qu’il en reste constitue seulement un piège où chamois et bouquetins s’emmêlent et se blessent.

À sa création en 1979, le Parc a "hérité" dans sa zone centrale (devenue "zone cœur" après la réforme de 2006) d’une multitude de telles fortifications, aussi bien françaises qu’italiennes. Certaines, casernes, forts et blockhaus présentant un caractère historique, sont mises en valeur. Les autres, devenues friches et déchets dangereux se devaient de disparaître pour redonner toute leur place à la faune et la flore locales. Les moyens mobilisables par le seul Parc restaient limités face à l’ampleur du travail, mais des démontages ponctuels ont néanmoins été réalisés, notamment par Roger Settimo, pionnier de la création du Parc, qui s’est attelé à la tâche seul et bénévolement : quelle détermination ! Puis le partenariat initié en 2002 entre le Mercantour et la campagne "Installations Obsolètes" de Mountain Wilderness a permis de mobiliser des bénévoles par dizaines pour démultiplier la capacité d’intervention.

Patrimoine naturel. Le Mont-Blanc mérite-t-il un tel classement ?

Le site naturel a-t-il une valeur universelle exceptionnelle ? Il y a beaucoup d'autres très belles montagnes à travers le monde. L'UNESCO ne peut les classer toutes. 

Mais le Mont-Blanc a ceci de particulier et d'exceptionnel, les Chamoniards en sont bien convaincus, qu'il offre la juxtaposition spectaculaire sur quelques km2 d'un haut massif glaciaire à l’architecture parfaitement équilibrée et d'un jaillissement d’aiguilles de granit dominant la ville de Chamonix. Cette proximité entre les deux types de relief est tout à fait unique au monde. Ce noyau du massif est entouré de sommets secondaires prestigieux tous entourés de systèmes glaciaires dont l'altitude élevée assure la pérennité pour de très nombreuses années malgré le réchauffement climatique.

Chamonix berceau de l'alpinisme et haut lieu culturel des Alpes

Sur le plan culturel, le massif et ses vallées sont un point phare en Europe et dans le monde depuis le XVIIIème siècle.

Des aventuriers, des artistes, des hommes de lettre, des scientifiques et surtout des alpinistes sont venus de tous horizons, pour gravir nos sommets et pour décrire les beautés de notre nature. 

Dans cette belle histoire racontée par ces hommes, la perception même de la montagne a évolué, passant de « monts maudits » à « sommets merveilleux ».

Ainsi la vallée de Chamonix, célèbre pour abriter la plus vieille et la plus nombreuse compagnie des guides du monde, est-elle devenue le creuset de l'alpinisme, et elle l'est toujours aujourd'hui, terrain d'expérimentation de toutes les pratiques alpines les plus audacieuses.

Chamonix Mont-Blanc vers l’UNESCO un patrimoine entre histoire et modernité

Notre dossier de candidature doit prendre en considération les traces "physiques" que ces multiples activités ont laissé dans le massif. Depuis le patrimoine vernaculaire remontant à l'époque du Prieuré, jusqu'à l'architecture riche et diverse des grands hôtels chamoniards —y compris celui du Montenvers―, des anciens palaces aux établissements modernes, on assiste à cette évolution des modes d'hébergement pour accueillir le visiteur, un phénomène touristique dont on peut dire qu'il s'est inventé à Chamonix, puis à Courmayeur et à Orsières.

Il ne faut pas oublier non plus les équipements plus modernes, trains, téléphériques, refuges, tunnel sous le Mont-Blanc, qui témoignent de l'adaptation de l'homme à son environnement de montagne a priori peu fait pour l’accueillir.

Ce lieu à la beauté inégalée attire tout au long de l'année événements sportifs, festivals musicaux, congrès internationaux, rassemblements d'alpinistes, expositions artistiques, réunions littéraires et philosophiques, premières cinématographiques, qui assurent à la vallée un rayonnement international. Nos vallées voisines du Valais et du Val d'Aoste ne sont pas exclues de ce mouvement.

Il nous semble que ce sont toutes ces marques dans le territoire que l'UNESCO pourra reconnaître au Patrimoine Mondial.

Comment l'UNESCO jugera-t-elle la procession de poids-lourds à l'assaut du Mont-Blanc ?

Quel sera son diagnostic sur l'invasion estivale de la vallée par des dizaines de milliers de voitures et par le développement difficilement contrôlable d'une urbanisation envahissante ?Que pensera-t-elle de la surfréquentation du massif et des milliers de touristes sur les pentes du mont Blanc chaque semaine ? Quelle appréciation portera-telle sur les industries polluantes de l'entrée de notre vallée ? Elle risque d'être sévère sur tous ces points, elle le sera sans doute moins sur la justification du classement au titre culturel qui est absolument incontestable.

Une gestion collaborative pour le classement du Mont-Blanc

La route est encore longue. Tous les acteurs, politiques, associatifs, institutionnels, à l'échelon local, départemental, régional et national, sur les trois pays, doivent travailler de concert pour apporter les bonnes réponses à toutes ces questions, pour engager dès aujourd'hui des actions concrètes de bonne gestion du territoire, sur lesquelles sera jugée notre habilitation à prétendre au classement du Mont-Blanc au Patrimoine mondial Naturel et Culturel de l'UNESCO. C’est notre vœu le plus cher.

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