Thierry, en traversée des Vosges pour recencer les aménagements abandonnés

En juin 2024, Thierry Jeandel, bénévole de Mountain Wilderness, a réalisé une randonnée itinérante d'une semaine pour compléter l'inventaire des Installations Obsolètes présentes dans le massif des Vosges. Retour sur ce trek !

5 min de lecture
Vosges
Installations Obsolètes
Pratiques sportives
Mobilité douce

Écrit par Thierry Jeandel, administrateur et bénévole du groupe local Vosges

Publié le 27 juin 2024

Thierry a parcouru 180km des Vosges, de Schirmeck à Saint-Maurice-sur-Moselle, en passant par plusieurs Installations Obsolètes déjà connues de notre association et certaines dont nous n'avions pas connaissance auparavant. Il est aussi allé à la rencontre de certains acteurs locaux qui ont bien voulu discuter avec lui du sort de ces installations abandonnées : font-elle partie du patrimoine et donc doivent-elle être valorisées, sont-elles dangereuses pour la faune et les promeneurs, entachent-elle le paysage et doivent-elles donc être démantelées ? 

En cohérence avec la campagne Changer d'approche de Mountain Wilderness, Thierry a organisé un voyage 100% mobilité douce. Retrouvez plus bas son carnet de bord et des photos de son parcours.

Jour 1 : le grand départ... en train !

15 kg ! Mon sac fait 15 kg tout pile avec tente, duvet, réchaud de la nourriture pour quelques jours et tout ce qu’il faut pour « survivre » aux pluies annoncées.

Départ en TER en milieu de matinée depuis la petite gare qui se trouve à quatre kilomètres de chez moi entre Pont à Mousson et Nancy, deux changements plus tard je descends du train à Schirmeck, il pleuviote.

Un petit crochet par le mémorial Alsace Moselle, un musée extrêmement bien fait sur l’histoire tragique des alsaciens et des mosellans durant les deux dernières guerres. Au loin on aperçoit le Struthof, le seul camp de concentration qui se trouvait sur le sol français. Sans doute en raison de l’actualité politique, je ressors de là un peu secoué et la longue grimpette vers le Donon au milieu des champs de digitales me reconnecte très vite à la nature. Tout en marchant, je passe pas mal de temps au téléphone pour contacter le maire de la commune où se trouve le téléski du Donon ainsi que les responsables de l’ONF, propriétaires du terrain, mais personne ne peut se libérer pour venir à ma recontre.

Le ciel se dégage et le coucher de soleil au sommet du Donon est superbe comme souvent là-haut. Plutôt que de monter ma tente quelque part dans les environs je décide de dormir à la belle étoile au sommet.

Jour 2 : immersion au cœur du vivant non-humain

Une journaliste et un caméraman de France 3 Alsace me rejoignent, on peut partir à la recherche des vestiges du téléski du Donon. On a bien failli passer devant sans le voir, tant le pylône de départ est désormais imbriqué dans les arbres. Le hasard veut que le caméraman est venu skier là dans sa jeunesse comme sans doute beaucoup de gens de la région. On passe un peu de temps à visiter la cabane des moniteurs où tout est resté en place, vieux skis, chaussures, comptoir et matériels divers.

En fin de matinée je me remets en route, il reste quand même plus de 20 km et pas mal de dénivelé car je dois passer sur l’autre flanc de la vallée de la Bruche et la pluie est annoncée.

J'ai plus de 20 km à parcourir et pas mal de dénivelé car je dois passer sur l’autre flanc de la vallée de la Bruche et la pluie est annoncée.

En montant vers le Champ du Feu, en fin de journée, je vois au loin un couple qui installe son bivouac, je les envie un peu car il me reste encore pas mal de chemin. Mais marcher seul à cette heure tardive me permet de faire de belles rencontres, une martre qui traverse le chemin devant moi sans me voir, deux marcassins qui divaguent tranquillement dans le sous-bois et plusieurs chevreuils qui ne me remarquent même pas. Après un repas dans un restaurant au Champ du Feu, je repars pour une petite heure de marche et j’installe rapidement mon bivouac avant l’orage dans une clairière où aboie un chevreuil visiblement mécontent de me sentir chez lui. Il pleut toute la nuit…

Jour 3 : en quête des installations obsolètes...

Le lendemain je remballe la tente sous la pluie, ça va devenir une habitude. Je file à la Chaume des Vaux à côté du Hohwald où normalement deux téléskis abandonnés m’attendent. Je trouve le premier sans problème, quant au deuxième, plus aucune trace. J’apprendrai plus tard que l'ancien téléski a été démonté en 2018 (par hélicoptère pour un coût de 40 000 € !) car la zone venait d’être classée Natura 2000 suite à la découverte de plusieurs variétés de lycopodes, une plante qui descend en ligne directe de plantes primitives vieilles de 400 millions d’années. Des botanistes de la France entière et de plus loin se déplacent régulièrement sur le site.

Je reprends ma route direction la Grande Fosse, de nouveau de l’autre côté de la vallée de la Bruche mais plus au sud cette fois. Que vais-je faire à la Grande Fosse ? Essayer de trouver les vestiges d’un petit téléski installé dans les années 60 par une association, les Cimes Argentées qui voulait redynamiser la commune victime de l’exode rural. Tout en marchant, je contacte le président actuel de l’association qui m’explique que la faible altitude conjuguée aux hivers sans neige ont sonné le glas de l’installation il y a belle lurette et qu’elle a été démontée sauf un pylône et le petit moteur afin de garder une trace de cette époque. Depuis, l’association, toujours très dynamique, organise une quantité incroyable de manifestations culturelles, une belle adaptation. Il en profite pour me recommander une chambre d’hôte située au pied de l’installation.

Jour 4 : un ami pour partager la route

C’est sous le soleil que je remets mon sac sur mon dos et après avoir fait quelques photos des vestiges du téléski, je dévale par une succession de sentes visiblement peu empruntées jusque Provenchères-sur-Fave où Serge, un ami, a décidé de m’accompagner pour l’étape du jour.

Son énergie et nos conversations feront de cette journée la plus rapide et malgré les 23 km et les 1000 m. de dénivelé. Nous atteignons notre destination, la Graine Johé, à côté du col des Bagenelles, en début d’après-midi. Un autre couple d’amis nous a rejoint pour diner avec nous et même si le restaurant est fermé on peut y acheter une tourte excellente qu’on dégustera sous l’auvent du refuge du club vosgien… avant que la pluie ne fasse son retour. À la Graine Johé, il y a un téléski qui dessert, entre autres, une piste très pentue qui est un régal lorsque la neige est bonne. Mais cet hiver le téléski n’a pas fonctionné une seule fois

Jour 5 : encore des téléskis déjà démontés

Le lendemain, départ sous la pluie, elle ne me quittera pratiquement pas de la journée. Je suis désormais sur des sentiers que je connais bien. Je passe au col du Bonhomme, au col du Louschbach. Je rejoins la haute vallée de la Meurthe, le Rudlin puis le Valtin où m’attendent normalement, aux Hautes Navières, trois téléskis. Je tombe très vite sur un pylône de départ à moitié démonté, mais j’ai beau chercher, rien d’autre. Renseignements pris à l’hôtel situé au pied, tout a été démonté et le pylône restant va partir également à la ferraille dans les semaines qui viennent.

Je reprends la marche sous un ciel menaçant, je veux rejoindre, si possible avant les orages, la chaume de Balveurche où subsistait un petit téléski. J’arrive juste à temps avant les premières averses et décide de passer la nuit dans ce qui fut une ferme auberge et qui est maintenant un superbe hôtel de montagne décoré avec beaucoup de goût par Anita et Delphin les propriétaires. Le téléski a été totalement démonté il y a bien longtemps, plus aucune trace à part la petite cabane de départ.

Jour 6 : recensement de trois téléskis abandonnés depuis une trentaine d'années

Le lendemain matin la météo annonce la fin des pluies vers 11h, je traine donc le plus possible au petit déjeuner. Mais, vu la longueur de l’étape 32 km et 800 m. de dénivelé, à 10h j’enfile mes chaussures qui sont détrempées depuis maintenant quatre jours et pars sous la pluie battante direction le Collet où m’attendent trois téléskis abandonnés depuis une trentaine d’années. Je passe beaucoup de temps à prendre la position exacte de chacun des pylônes ainsi que des photos. Il y a quelques années, avec MW et un groupe de scouts on avait débarrassé le site d’un par-neige destiné à maintenir la neige sur la piste lorsqu’il y a du vent. Ces installations sont la propriété de Labellemontagne qui exploite, entre autres, la station de La Bresse toute proche.

Ce site du Collet-Retournemer est un spot de ski de rando très fréquenté durant la saison hivernale et il y a réel danger de laisser ces installations se dégrader. Des morceaux de garde-corps pendent des pylônes, certains sont à terre, il y a des câbles qui trainent. De plus au pied des installations, un local technique est en ruine, et récemment des montagnes de gravats ont été déposés. Heureusement, aussitôt rentré de mon périple, j'apprends que ces installations seront démantelées cet automne par l'exploitant !

Bien trempé par ma pérégrination dans les hautes herbes, je reprends la route direction le col de Bramont, puis le Grand Ventron, le col du Page pour arriver en fin d’après midi à Bussang où je n’ai guère le choix que de passer la nuit au camping. L’état de mes pieds me fait hésiter sur le bien-fondé de continuer, j’ai usé tout mon stock de pansements. Je prendrai une décision demain.

Jour 7 : un dernier téléski pour la route

Le lendemain le ciel est couvert mais normalement il ne devrait pas pleuvoir. Je décide de partir à la recherche d’un ancien téléski situé à la Broche à deux ou trois km de mon camping. Je passe plus d’une heure à batailler dans les ronces pour enfin trouver les vestiges d’un premier pylône. Les autres ne seront guère plus faciles à trouver.

Je vois au loin le Ballon de Servance, plusieurs kilomètres et 800 m de dénivelé m’en sépare et quand je serai là-haut il faudra encore marcher une dizaine de kilomètres pour rejoindre Belfahy où m’attend ma dernière « installation obsolète ».

J’y arrive en début de soirée, la lumière est superbe, il n’a pas plu de la journée et l’endroit est magnifique et sauvage, c’est d’ailleurs une « zone de quiétude » avec toutes les restrictions d’usage comme celle de rester sur les sentiers.

Je trouve facilement la poulie de renvoi du téléski et je suis la ligne et prend en photo chaque pylône ainsi que sa localisation exacte. Ce téléski de 700 m. de long a été installé en 1966 par les frères Py, l’exploitation a cessé en 1998 lorsqu’ils ont pris leur retraite. Un des enfants a construit sur le site 5 cabanes originales et toute différentes les unes des autres, une belle reconversion.

Ça y est, je suis arrivé au bout de mon périple et en même temps du massif, au sud je vois la plaine de Haute Saône et tout au fond les contreforts du Jura. Je bivouaque une dernière fois dans la forêt avant de rejoindre le Ballon d’Alsace ou m’attendent un journaliste des Dernières Nouvelles d'Alsace et un photographe. On fait quelques photos sur le site de la Jumenterie, un ancien domaine skiable où toutes les remontées ont été démontées il y a très longtemps mais qui reste un superbe spot de ski de randonnée avec une vue incroyable sur la vallée de la Moselle.

Jour 8 : le chemin du retour, en mobité douce

Je dévale, enfin je clopine, jusque Saint Maurice sur Moselle où je loupe le bus d’une demi-heure. J’en profite pour faire une bonne sieste au soleil dans l’abri bus pour attendre le suivant. Bus, ensuite TER qui me ramènent tranquillement chez moi.

Au final, cette « balade » de plus de 180 km et 7 000 m. de dénivelé m’aura permis une immersion dans ce massif que je connais bien mais en passant par d’autres chemins, d’autres lieux. Au travers de ces histoires liés à chacune de ces installations aujourd’hui à l’arrêt, ce fut également un voyage dans le temps, un temps où la neige était abondante de la fin de l’automne jusqu’au début du printemps. Une histoire de tous ces passionnés qui, d’arrachepied, ont construit tous ces remonte pentes, souvent avec très peu de moyens, les ont exploités pendant des années pour le bonheur de centaines de gamins et d’adultes. Certains ont su se tourner vers autre chose, d’autres s’acharnent.

Dans les années qui viennent, c’est une certitude, d’autres remontées s’arrêteront à tout jamais, ça ne fait plaisir à personne mais le manque de neige est une réalité. Il reste à l’heure actuelle une vingtaine de stations de ski alpin sur le massif.

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