Florian Racaché

Stratégie nationale pour la biodiversité : un pas en avant, un pas en arrière ?

La « Stratégie nationale biodiversité » (SNB) détaillant les objectifs de préservation de la biodiversité d’ici 2030 vient de paraître. Elle contient 40 mesures réparties en quatre axes (réduire les pressions ; restaurer la biodiversité ; mobiliser tous les acteurs ; les moyens). Parmi les plus de 200 actions détaillées, deux concernent directement les actions de Mountain Wilderness en faveur des espaces protégés :

Espaces protégés

Écrit par le comité de rédaction

Publié le 05 mars 2024

SITES CLASSÉS
Le gouvernement souhaite « augmenter de 10% la surface du territoire national couverte par la protection sites classés », c’est-à-dire passer de 1,8 % à 2 % la surface du territoire métropolitain terrestre couvert par cette modalité de protection. La surface moyenne des sites classés étant de 421 ha, cette action représenterait la création de 300 sites classés ! Cette annonce confirme l’intérêt du travail de recensement des sites insuffisamment protégés effectué par le groupe de travail « sites inscrits / sites classés » de Mountain Wilderness.

GLACIERS
Le gouvernement souhaite « renforcer la protection des écosystèmes glaciaires et émergeant du retrait glaciaire ». Cette action reprend notamment l’annonce du Président lors de la clôture du One Planet – Polar Summit où il s’est engagé à placer 100 % des glaciers français sous protection forte (seuls 60 % sont aujourd’hui concernés). La bonne nouvelle concerne également les écosystèmes post-glaciaires, jusqu’alors peu considérés, et dont l’étude et la protection forte font désormais partie des objectifs de la SNB.

Quelques mesures ambitieuses pour la wilderness de montagne ...

En plus des deux mesures concernant les glaciers et des sites classés, les espaces de montagne sont indirectement concernés par une panoplie de mesures. Le gouvernement souhaite notamment promouvoir des pratiques respectueuses – voire vertueuses – de sport de nature et de tourisme en plein air, en considérant l’ensemble des patrimoines (paysager, culturel et naturel). De la même manière, les professionnels du tourisme seront accompagnés pour réduire leurs impacts sur la biodiversité.

Si nous pouvons nous réjouir de ces quelques bonnes nouvelles pour les écosystèmes de montagne, certains aspects fondamentaux manquent à l’appel :

  • La réduction des nuisances sonores (mesure 9) est cantonnée aux milieux marins, alors que bon nombre de milieux terrestres sont également concernés par cette pollution, à l’image des abords de grands cols routiers ;
  • Le problème de la sur-fréquentation de certains espaces naturels n’est considéré qu’à travers le prisme des « Grands Sites de France », oubliant que nombre d’espaces ne sont pas concernés par cette modalité de protection.

... Mais de grosse lacunes pour une mise en oeuvre efficace de la SNB

Sur le fond, cette stratégie est plus précise, plus cohérente et mieux organisée que les précédentes. Cependant, son caractère opérationnel est fortement questionnable du fait de deux écueils fondamentaux que le gouvernement n’a pas voulu prendre en compte :

L’OPPOSABILITÉ DE LA STRATÉGIE
Contrairement à d’autres stratégies nationales, la SNB 2030 n’est pas assortie d’un système de redevabilité qu’aurait permis sa publication par décret. N’étant pas opposable, c’est pour l’heure une « feuille de route » ou une déclaration d’intentions, les ministères et établissements concernés par sa mise en œuvre n’étant assujettis ni à un « rapportage » ni à l’ajustement des actions qui seraient en souffrance. En cela le gouvernement n’a pas tiré le bilan des deux stratégies précédentes, qui se sont enlisées faute de portage politique et ministériel dès que quelques remaniements ou changement de gouvernement sont passés par là (réduisant le document à tout autre chose qu’une stratégie nationale, au mieux un référentiel pour l’action et au pire un document de communication non suivi d’effets).

LA QUESTION DES MOYENS
Le gouvernement - même s’il a concédé un effort budgétaire pour 2024 de 264 M€ - ne s’est pas engagé à programmer une montée en puissance des moyens accordés à cette stratégie et à ses enjeux, alors même qu’un rapport de l’Inspection Générale des Finances et de celle de l’Environnement (IGF-IGEDD) estime à 600 M€ minimum les besoins annuels pour une mise en œuvre efficace. De plus, le gouvernement ne s’est nullement engagé dans la résorption ou la réorientation des subventions publiques néfastes pour la biodiversité, estimées à plus de 10 Mds€ par an selon le même rapport IGF-IGEDD. Outre que cette indécision manque à un des objectifs majeurs de la dernière COP biodiversité, elle est surtout l’expression d’une schizophrénie qui perdure : malgré les avancées scientifiques qui documentent de mieux en mieux l’urgence à agir contre l’effondrement de la biodiversité, en complément aux politiques d’atténuation et d’adaptation aux dérèglements climatiques, l’État est incapable de choisir, de porter et d’assumer les réorientations nécessaires des politiques qui nuisent à la biodiversité (et le plus souvent en même temps au climat).

Ainsi, cette nouvelle stratégie constitue un pas en avant dans la prise en compte des enjeux de biodiversité. Mais sa mise en œuvre dépendra beaucoup de l’engagement des associations, des collectivités et des acteurs professionnels. On y est habitués, mais le temps presse et nous n’abandonnons pas l’objectif que la stratégie devienne plus opérationnelle par son inscription dans le droit.

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