La Bérarde à l'automne vue du nord - Novembre 2013
La Bérarde - 2013 © Frédéric Dussurget - CC BY-SA 3.0

Un été sans montagne

Après l’émotion, très forte, suscité par les inondations et les laves torrentielles qui, les 20 et 21 juin, ont profondément balafré le hameau de la Bérarde et la première mobilisation, également très forte, des acteurs de la montagne, l’été dans la haute vallée du Vénéon aura été un été unique à plus d’un titre.

8 min de lecture
Écrins
Isère
Montagne à vivre
Transition

Écrit par Par Sébastien Truche, membre du CA de Mountain Wilderness

Publié le 07 oct. 2024

Cet article n’a pas vocation à recenser l’intégralité de tout ce qui a été fait dans la haute-vallée du Vénéon au cours de l’été 2024 et n’engage que son auteur. —

Pallier les dégâts causés par la catastrophe

Quelques jours après cet incroyable événement, d’importants travaux de sécurisation puis de déblaiement sont menés à la Bérarde mais aussi plus en aval, à Plan du Lac, et sur la commune des Deux-Alpes (au Bourg-d’Arud et en amont des Ougiers), autant de lieux fortement bouleversés par le volume incroyable des matériaux charriés par le Vénéon. Pour celles et ceux qui habitent et peuvent remonter la vallée, l’impression est saisissante.

Les messages de sympathie affluent de toutes part et le début de l’été est marqué par une très forte mobilisation des amoureux des lieux et des acteurs de la montagne, qu’ils soient particuliers, socio-professionnels ou institutionnels.

Guidé par un impératif de sécurité et voulant éviter le « tourisme de curiosité », les pouvoirs publics prennent des décisions fortes. Dès le 24 juin, un premier arrêté préfectoral réglemente l’accès à la Vallée. Le 1er juillet, un second arrêté préfectoral est pris, complété par un arrêté municipal.

L’accès aux refuges de la vallée (Selle, Alpe du Pin, Lavey, Soreiller, Temple-Ecrins) est progressivement interdit. Seul le refuge du Promontoire reste accessible notamment via la Brèche de la Meije. C’est un nouveau coup dur après la fermeture définitive du refuge de la Pilatte (en 2021) et celle, non définitive, du Châtelleret suite à la crue torrentielle de juillet 2023. La location de meublés communaux est également suspendue.

Le 8 juillet, un deuxième arrêté municipal complète le premier arrêté et contient notamment en annexe une cartographie des dommages bâtimentaires à la Bérarde et aux Étages établie par le SDIS de l’Isère.

© In Memoriam : Gilles Péris y Saborit CC BY-NC 2.0
© In Memoriam : Gilles Péris y Saborit CC BY-NC 2.0
© In Memoriam : Gilles Péris y Saborit CC BY-NC 2.0
© In Memoriam : Gilles Péris y Saborit CC BY-NC 2.0
© In Memoriam : Gilles Péris y Saborit CC BY-NC 2.0

Un élan citoyen de solidarité

Deux cagnottes sont lancées presque simultanément pour venir en soutien aux habitants et à la commune, la première par l’Association des Amis et Habitants de la Bérarde et du Haut Vénéon, la seconde par Nicolas Blain, amoureux du lieu et voulant apporter sa pierre à l’édifice.

Le 26 juin, au Bourg-d’Oisans, la communauté montagnarde se réunit et exprime sa solidarité envers les populations touchées et son attachement au lieu. Le 28 juin, les socioprofessionnels de la vallée du Vénéon rencontrent les services de la préfecture

Le 12 juillet, un groupe de travail se réunit en mairie de Saint-Christophe-en-Oisans autour de Nicolas Blain. Participent M. Jean-Louis Arthaud, maire de Saint-Christophe, Lucie Neyraud et Yannick DUCRET, tous deux Amis de la Bérarde et conseillers municipaux, Jean-Philippe Ribellino, gérant de l’Auberge de la Meije, Frédi Meignan, Vincent Neirinck et Sébastien Truche, pour Mountain Wilderness Les réflexions sont engagées sur la destination à venir des fonds.

C’est l’occasion de clarifier la présence de notre association à cette réunion. Bien que n’étant pas à l’initiative de la collecte, Mountain Wilderness a souhaité lui apporter son soutien et lui donner de l’ampleur et de la visibilité. Quelques jours plus tard, Résilience Montagne et CamptoCamp décident de relayer à leur tour la cagnotte.

Initiée par Nicolas Blain
Initiée par Les Amis de la Bérarde

Un mois d’août teinté d’espoir

Le 8 août, les premières navettes depuis le Bourg-d’Oisans sont mise en place et permettent de rallier Vénosc dans un premier temps puis, 2 jours plus tard, Saint-Christophe-en-Oisans. Les habitants et la commune respirent enfin un peu bien que la vie du territoire reste très ralentie.

Les animations et événements estivaux sont en grande majorité annulés mais la vallée ne se laisse pas abattre et fait de la résistance. C’est ainsi que la Fête des guides de la Bérarde a tout de même lieu à Saint-Christophe-en-Oisans, ainsi que le Plus petit festival de cinéma de montagne, exceptionnellement délocalisé au Bourg-d’Oisans.

Le 29 août, la commune de Saint-Christophe organise une première journée de dépollution. Ne peuvent y participer que les habitants. Le lendemain, 30 août, une réunion publique est organisée à Saint-Christophe-en-Oisans. Dans un premier temps, les constats sont posés par RTM, le service de restauration des terrains en montagne de l'ONF. Les incertitudes sont encore nombreuses sur le rôle du glacier, les mécanismes de propagation et sur les évolutions des aléas. A la demande de l’État, un groupe de travail associant scientifiques (IGE, EDYTEM, Météo France, ISTERRE, INRAE), témoins et acteurs institutionnels est mis en place.

Les objectifs de ce groupe de travail sont les suivants :

  • Caractériser le phénomène et sa rareté au regard de l’historique du torrent ;
  • Reconstituer la temporalité et les causes probables du phénomène ;
  • Évaluer l’aléa sur le cône suite à cet évènement majeur : en particulier définir les scénarios de référence notamment au regard de la déstabilisation du bassin versant.

Un retour de ce groupe de travail est attendu pour la fin novembre.

Un second temps de cette réunion publique est consacré aux différentes actions déjà entreprises et/ou à venir, distinguant les actions relatives à l’urgence de la situation, à la sécurisation des lieux et au réaménagement du site.

Le tracé du « nouveau torrent des Étançons » est exposé, violent et implacable : la Bérarde, en plus d’être coupée du monde, est coupée en deux. Certains bâtiments ont tout simplement disparu, d’autres ont été endommagés et détruits après la crue, car présentant un risque trop important. C’est notamment le cas de la chapelle Notre-Dame-des-Neiges qui portait sur ses murs de nombreux témoignages des conquérants de l’inutile.

L’émotion est, on l’imagine aisément, encore très forte et une question brûle les lèvres : et après ?

Le futur de la vallée s’organise

Le 12 septembre, une deuxième journée de dépollution est organisée. Ce même jour, deux mois jour pour jour après la première rencontre, le groupe de travail « cagnotte » initié par Nicolas Blain se réunit de nouveau en mairie. L’enjeu principal de cette rencontre est de s’accorder sur les 3 orientations à donner aux fonds récoltés, étant entendu que les fonds seront reversés à la commune et qu’elle aura toute liberté pour les utiliser comme elle l’entend.

Sont ainsi retenues les trois orientations suivantes :

Orientation 1 : soutien aux socio-professionnels de la vallée

Ce soutien se décline en deux enveloppes distinctes :

  • une partie destinée aux gardiens de refuge, confiée au Syndicat national des gardiens de refuge et de Gîtes d'étape et de refuges ;
  • l’autre partie dédiée à la redynamisation touristique de la Bérarde. Cette aide, à destination des acteurs socio-professionnels de la Bérarde, sera débloquée une fois le projet sur le devenir de la Bérarde défini.

Orientation 2 : travaux de nettoyage et déblaiement de la Bérarde et des abords du Vénéon

Il s’agit de financer :

  • des travaux lourds conduits par la commune, notamment pour dégager les accès aux différents bâtiments de la Bérarde, nettoyer les abords et financer les opérations de déblaiement du lit du Vénéon ;
  • certains frais associés aux opérations de nettoyage mobilisant des bénévoles.

Orientation 3 : atelier(s) d’intelligence collective

L’objectif retenu est de financer l’accompagnement d'ateliers citoyens, rassemblant en premier lieu les habitants puis élargis aux acteurs économiques et acteurs de l’Oisans avec pour objectif d’élaborer des pistes pour l’avenir de La Bérarde et la vallée du Vénéon.

La cagnotte est close quelques jours plus tard et les fonds sont virés à la commune le 26 septembre. Au-delà du montant reversé, il faudra retenir le nombre très élevé de donateurs (près de 1500) et les 237 messages de soutien publiés. L’envie de voir la Bérarde revivre, sous une forme ou sous une autre, est toujours là et fait écho à la très belle photo publiée par Chloé Tairraz dans le Dauphiné Libéré avec ce message fort : « C’est une façon de dire que l’on ne va pas lâcher notre village. On sera toujours là, on ne partira pas. »

Quelques semaines plus tard, l’automne s’est déjà installé dans la haute vallée du Vénéon et les sommets sont déjà poudrés. L’arrêté préfectoral du 1er juillet portant réglementation de la circulation sur la RD530 et la vallée du Vénéon est toujours en vigueur (à la date du 1er octobre).

Dans quelques semaines, la neige rendra la route impraticable et les travaux devront être interrompus.

Un lendemain à construire ensemble

La Bérarde revivra, c’est une certitude. Une vallée fermée et sous cloche est inimaginable.
Sous réserve que les pouvoirs publics considèrent que les lieux sont sûrs et ouvrent de nouveau la route (qui n’est que piste actuellement), la Bérarde revivra. Mais sous quelle forme ?

Les semaines passées ont mis en évidence une volonté farouche des habitants de faire revivre le lieu. Ces derniers ont aussi fait preuve de solidarité et de résilience mais aussi d’imagination. Certains ont pu manifester leur crainte de se voir déposséder de l’avenir du hameau par des acteurs extérieurs. Cette crainte est légitime et les habitants doivent être entendus, rassurés et soutenus.

C’est en ces moments troubles, à la croisée des chemins et à l’aube d’un lendemain à construire qu’il faut savoir faire confiance à l’intelligence collective et poser les bases d’une analyse prospective. Ces expressions « intelligence collective » et « analyse prospective » pourraient relever d’une novlangue un peu hors-sol mais c’est pourtant ce qui a déjà été mis en œuvre dans nombre de territoires de montagne touchés par des événements parfois dramatiques et qui sont exposées, de plus en plus fortement, au changement climatique.

Ayons l’humilité de dire qu’on ne sait pas tout et qu’on va apprendre ensemble. Soyons ouverts aux idées et points de vue des uns et des autres, qu’ils soient acteurs institutionnels, résidents (permanents et non-permanents) ou socio-professionnels, de la vallée et d’ailleurs.

Apprenons de ce qui s’est fait ailleurs, dans les Alpes ou dans d’autres massifs et régions.
Ayons l’audace
de prolonger des dispositifs expérimentaux ou temporaires et d’en tester d’autres.
Ayons le courage de requestionner les voies et moyens d’accès à la vallée. Pensons navettes et parcs relais et arrêtons de ne penser qu’avec nos voitures.

Autorisons-nous à repenser nos pratiques touristiques et nos envies de montagne. Réapprenons peut-être l’itinérance, le temps long et le temps lent.
Gardons nos yeux et nos cœurs grand ouverts.

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