Col du Glandon © CC BY SA 3 0 Deed

WilderGIS : Pollution sonore par les routes des grands cols de montagne

Dans tous les massifs d’Europe, les grands cols de montagne se trouvent, dès le premier jour de leur ouverture, particulièrement fréquentés par des deux-roues motorisés et des voitures « de sport » accompagnés d’impacts sonores très importants. Mountain Wilderness agit contre ces nuisances en raison de leurs conséquences en matière de pollution sonore portant atteinte à l’environnement montagnard, ses habitants et ses visiteurs. À ce titre, nous avons le plaisir de restituer les résultats des premières mesures de bruit effectuées au col du Glandon, cet été 2022, dans le cadre du projet WilderGIS porté par Mountain Wilderness France.

5 min de lecture
Espaces protégés
Loisirs motorisés

Écrit par le comité de rédaction

Publié le 04 janv. 2023

Les cols de montagne à l’ère motorisée

Dès leur ouverture aux premiers véhicules à moteur, les grands cols alpins sont devenus bien plus que des moyens de communication entre vallées. En effet, lors du grand développement du tourisme en montagne, ils sont devenus eux-mêmes des attractions touristiques. Aujourd’hui encore, pour beaucoup d’habitants des plaines, l’attrait touristique des cols passe souvent avant leur rôle pratique de voies de transit. Ils représentent pour eux la première approche (et souvent la seule) d’un monde qui leur est radicalement étranger. Une autre catégorie importante d’usagers est celle des cyclistes, pour lesquels le col est aussi un but en lui-même. Pour les pratiquants d’activités de plein air en montagne, à l’inverse, le col est un moyen d’accès : c’est la montagne après le col qui est l’objectif.

Une catégorie bien différente d’usagers de ces cols est celle évoquée plus haut, qui comprend les motards mais aussi les conducteurs de voitures dites « de sport ». Ils tendent à se concentrer sur les cols les plus élevés des grands massifs qui attirent également les catégories d’usagers précédemment mentionnées. S’ensuivent donc des conflits d’usage, particulièrement autour du bruit. Ces pratiquants sont ceux qui ont retenu notre attention dans le cadre de ces mesures d’impacts de la pollution sonore en montagne.

Le nouveau paysage des cols de montagne

Cette pollution sonore est plus importante sur les routes menant aux cols les plus élevés et les plus connus, ainsi que ceux situés sur des grands itinéraires permettant de les enchaîner, comme la célèbre « Route des Grandes Alpes » dans les Alpes françaises. Dans ces zones, on constate qu’au-delà d’un bruit de fond quasi-continu similaire à celui des grandes routes de plaine, les motards, et tout particulièrement les groupes de motards, sont responsables d’une composante particulièrement « saillante » de ce bruit. La nuisance sonore augmente encore davantage dans les cols bordés de parois rocheuses réverbérant les sons. Pour des routes passant au fond de vallées encaissées de haute montagne, les bruits réfléchis peuvent ainsi être perçus jusque très haut en altitude : même dans des endroits où l’on ne voit plus ces routes, on les entend quand même très bien. Dès lors, on peut dire qu’il ne s’agit plus d’une pollution localisée. C’est bien le caractère même de wilderness des grands espaces de montagne qui se trouve dégradé par le simple fait qu’une route passe à plusieurs kilomètres de là.

Il faut insister aussi sur l’impact de cette pollution sonore pour les habitants des villages situés le long des routes menant aux grands cols. En effet, la qualité de vie que leur procure le fait d’habiter en montagne se trouve impactée par l’ouverture des cols au printemps, synonyme de fin de la tranquillité hivernale.

Mesurer les bruits anthropiques comme les bruits naturels

Nous avons expérimenté cet été sur la route du col du Glandon, entre la Savoie et l’Isère, une première approche pour mesurer cette pollution de manière objective, reproductible et généralisable. Pour cela, nous avons mis en place une méthode de relevés au moyen de capteurs et de logiciels d’analyse d’enregistrements sonores pour l’observation sur la durée des sons de la nature, tels qu’utilisés par les naturalistes. Ce dispositif matériel a été mis en œuvre par la société Biophonia, experts en bioacoustique.

Les capteurs utilisés sont similaires aux « pièges photographiques » connus pour leur utilisation dans les documentaires animaliers, mais ici on ne capte et n’enregistre que les signaux audio de l’environnement. Nous n’avons pas placé ces capteurs directement au bord de la route, mais à quelques centaines de mètres, à proximité d’itinéraires de randonnée classiques vers des lacs d’altitude, très fréquentés en saison. Un de ces capteurs était fixé à un des sapins visibles en bas au centre de l’image attachée à cet article.

Résultats des observations

Nous pouvons tirer quelques éléments qualitatifs et quantitatifs des résultats des mesures effectuées entre le 15 juin et le 15 août 2022 :

  • À une altitude supérieure de plus de 300m à celle de la route, l’« émergence » maximale du bruit provenant du trafic des motos est à 34 dB au-dessus du bruit ambiant de l’environnement (soit un rapport 2500 en puissance). À titre de comparaison, les maxima d’émergence mesurés dans les mêmes conditions sont à 37 dB pour les hélicoptères et 43 dB pour les avions de chasse.
  • Toujours à cette position très éloignée de la route, la pollution sonore est détectée (avec des niveaux supérieurs à 5dB par rapport au bruit ambiant) en moyenne pendant 44% de la durée de jour.
  • Ces durées de pollution sonore varient fortement et sont, sur les 5 journées les plus bruyantes de la période d’observation, supérieures à celles observées le jour du passage du Tour de France par la croix de Fer le 14 juillet.
  • Dans cette période d’été, ces maxima de pollution sonore sont beaucoup moins liés aux week-ends et aux pics de trafic sur le reste du réseau routier qu’aux jours de beau temps, qui sont aussi ceux où les randonneurs viennent se ressourcer en montagne.

Ces premiers résultats tendent à démontrer l’impact très fort des pratiques de loisirs motorisés sur les routes de montagne. Pourtant, les montagnes sont parmi les derniers espaces de ressourcement pour les humains : elles nous permettent d’oublier le bruit nos environnements habituels, dont on sait à quel point il est générateur de stress et de fatigue psychique.

Perspectives

Pour cette étude préliminaire, avec des moyens limités, nous n’avions déployé que 2 capteurs de part et d’autre du col du Glandon, pour tester la méthodologie à utiliser. Nous souhaitons poursuivre ce projet avec, si nous le pouvons, les objectifs suivants, nettement plus ambitieux :

  • Faire des mesures similaires sur plusieurs cols avec des profils de fréquentation et des configurations de terrain (par exemple alpages vs falaises…) les plus variées possibles.
  • Affiner l’analyse des résultats pour pouvoir distinguer automatiquement les différents types de trafic et les autres sources de pollution sonore sur toute la période d’observation.
  • Compléter cette analyse pour la relier aux effets potentiels des différentes sources de pollution sonore liées au trafic sur les riverains des vallées de montagne.
  • Déployer une multiplicité de capteurs sur chaque site d’observation pour aboutir à une véritable cartographie de la pollution sonore sur l’environnement complet de ces cols. C’est à ce niveau que cette étude se rattache au projet WilderGIS qui vise à construire une cartographie multi-critères de la wilderness de montagne.

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